Vladimir Nabokov

NABOKV-L post 0002906, Tue, 3 Mar 1998 08:12:15 -0800

Subject
Maurice Couturier on Lolita, the movie (fwd)
Date
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From: Maurice Couturier <Maurice.Couturier@unice.fr>


I enclose a few pages I recently wrote in French about Lyne's film for a
forthcoming book on the "Lolita myth" which I am preparing with Christine
Raguet-Bouvart, Wladimir Troubetzkoy and Jean-Jacques Lecercle. The book,
published by Editions Autrement, will come out in September.


On s'itonne qu'Adrian Lyne, rialisateur de Flashdance, Fatal
Attraction ou Indecent Exposure, ait dicidi de s'attaquer ` cette
histoire mythique ` une ipoque oy, aux Etats-Unis, la majoriti morale
impose un contrtle de plus en plus sourcilleux sur tout ce qui se rapporte
au sexe, mjme si elle accepte sans rechigner les histoires de violence qui
s'italent sur les icrans. Le scinario de Stephen Schiff suit de manihre
assez fidhle le fil de l'histoire, ce qui ne signifie pas pour autant qu'il
soit fidhle au roman ; il fait notamment l'impasse sur l'intrigue
secondaire concernant Quilty, ce qui, dans le film, conduit ` une dernihre
schne reconnue comme pluttt disastreuse par toute la critique. Dans une
interview parue le 17 mars 1996 sur Internet, Schiff reconnant ne pas avoir
pris connaissance du scinario de Nabokov mais avoir lu et relu le roman,
tout comme Adrian Lyne avec qui il s'itait entretenu du projet ` plusieurs
reprises avant de se mettre ` icrire le scinario.
Le choix des acteurs a manifestement iti dicti par le souci
d'Adrian Lyne de faire un film subtilement irotique : Dominique Swain, la
lycienne de quinze ans qui a obtenu ce rtle contre des centaines de
concurrentes en envoyant ` Lyne une vidio dans laquelle elle jouait une
schne du roman, apparant plus franche que Sue Lyon, moins expirimentie,
moins + porno ; comme dit Stephen Schiff, avec ses tresses, ses rubans, son
appareil dentaire, son chewing-gum, et surtout ses manihres de petite fille
parfois un peu maladroite. Cependant, dans la schne oy Jeremy Irons la
dicouvre allongie sur l'herbe dans le jardin sous la bruine artificielle
diffusie par le systhme d'arrosage, ses rondeurs d'adolescentes sont
complaisamment mises en relief : elle semble dij` savoir - ce qu'ignore
encore au dibut la nymphette de Nabokov - qu'elle exerce une fascination
irotique puissante sur ce visiteur qui demeure pitrifii de disir devant
elle. C'est une petite + allumeuse ; qui ne rechigne pas ` siduire un homme
beaucoup plus bgi qu'elle mais nullement interdit parce qu'elle ne voit
aucunement en lui un substitut du phre. En comparaison, Sue Lyon demeurait
indiffirente d'une bout ` l'autre au disir de James Mason et se contentait
de le taquiner, campie qu'elle itait dans son rtle de starlette.
Jeremy Irons, qui a dit dans ses interviews combien il fut captivi
par Dominique Swain et s'itonna que l'on mnt un coussin pudique entre elle
et lui chaque fois qu'elle venait s'asseoir sur ses genoux, ne projette `
aucun moment l'image d'un phre pervers : c'est un homme d'bge m{r et
toujours trhs siduisant qui, ` aucun moment, ne considhre Lolita comme un
objet viritablement interdit. D'ailleurs, Milanie Griffiths, dont on se
demande ce qu'elle vient faire l`, demeure trop peu de temps ` l'icran pour
constituer un viritable obstacle entre lui et Lolita. Les cas de
maltraitance sexuelle sur des mineurs dont la presse se fait largement icho
aux Etats-Unis depuis des annies ont manifestement inciti Adrian Lyne `
prendre des pricautions ; le vote, peu de temps aprhs le tournage du film,
du United States Child Pornography Act en 1996 interdisant la
reprisentation d'actes sexuels impliquant des mineurs, montra qu'il avait
sans doute eu raison de se censurer. Ce faisant, il dinatura l'histoire et
trahit en partie le mythe : le film ne traite pas de l'amour transgressif
d'un homme d'bge m{r pour sa belle-fille de douze ans mais de la passion
irotique d'un grand siducteur pour une jeune fille excitante et lighrement
manipulatrice, tout de suite consciente du charme qu'elle exerce sur lui.
Le spectateur frangais ou europien, en voyant ce film - financi
soit dit en passant par Pathi -, s'itonne d'apprendre que les distributeurs
amiricains aient, jusqu'` ce jour, refusi de le diffuser car il lui a iti
donni de voir ces dernihres annies de nombreux films amiricains
+ sexuellement explicites ; qui n'ont pas iti exclus des circuits de
distribution outre-Atlantique, comme par exemple les films avec Sharon
Stone ou encore Basic Instincts. On pense aussi ` L'amant de Jean-Jacques
Annaud, distribui aux Etats-Unis avec, certes, quelques modifications par
rapport ` la version diffusie en France : juridiquement, il pose des
problhmes sensiblement analogues ` ceux que pose Lolita. On a le
sentiment, en fait, qu'Adrian Lyne a iti victime du mythe Lolita : ce n'est
peut-jtre pas son film, en difinitive, que l'on a voulu exclure des salles
de cinima amiricaines mais l'histoire sulfureuse vihiculie par ce
best-seller que fut le roman de Nabokov et par le film de Kubrick.
Il est vrai que la situation a beaucoup changi en trente ou
quarante ans. Dans un article paru le 17 avril 1997 dans le Chicago
Tribune, John Blade analyse les raisons qui ont provoqui cette levie de
bouclier. Il ivoque le meurtre d'une petite reine de beauti de six ans et
l'insistance avec laquelle les midias s'intiressent aux cas de maltraitance
d'enfants, et il cite cette remarque tirie du livre de Susan Brownmiller
sur le viol, Against Our Will : + Un nouveau "Lolita" est d'affreux mauvais
go{t. ; Blade donne aussi la parole ` Alfred Appel, cet excellent
spicialiste de Nabokov qui a beaucoup icrit sur la dimension culturelle de
Lolita ; Appel explique que l'attitude de ses itudiants vis-`-vis de ce
roman a beaucoup changi depuis les annies soixante : + Ils ne croyaient pas
qu'il y avait des choses pareilles. Il me fallait sans cesse leur rappeler
que Humbert itait un criminel. Il y a encore dix ou douze ans, on ne
parlait pas de pidophilie. Maintenant, tout le monde ne parle que de
cela. ; Blade ivoque aussi la condamnation de Mel Reynolds pour abus sexuel
et pido-pornographie, et il explique que, dans l'Amirique de cette fin de
sihcle, les virtuositis poitiques de Humbert-narrateur ne permettent plus
de faire oublier le ctti ripugnant de toute cette histoire. Adrian Lyne
avait pris la pricaution d'inviter des reporters de Vanity Fair et
d'Esquire ` assister au tournage, mais cette stratigie se retourna contre
lui car les articles parus dans ces piriodiques insisthrent sur le ctti
scandaleux du film. Certes, on y trouve plusieurs schnes irotiques oy
Dominique Swain se dinude, les cuisses notamment, et oy Jeremy Irons la
caresse ; et il plane autour des deux acteurs une atmosphhre excitante qui
a semble-t-il eu quelque effet sur les participants au numiro de Bouillon
de Culture auquel participait le rialisateur. On ne peut pas dire pour
autant que le film soit particulihrement osi en comparaison de ceux ivoquis
plus haut mjme s'il est, en effet, beaucoup plus explicite sexuellement que
celui de Kubrick.